9b. L'EVACUATION

 

La commune dans laquelle j’exerçais était secouée depuis plus de huit jours par des violences urbaines, tout à fait inhabituelles à cette époque.

Cette nuit-là pourtant, le centre-ville semblait avoir retrouvé un peu de quiétude et les riverains s’étaient pour beaucoup endormis.

Nous circulions dans l’artère principale lorsque les regards de mes deux camarades et le mien furent attirés par la présence au loin d’une épaisse fumée noire ondulant nerveusement sous les lueurs de plusieurs candélabres.

Nous commencions déjà à composer le 18 quand nous comprenions en approchant des lieux qu’un incendie ravageait un magasin de meubles au-dessus duquel se trouvait un immeuble d’habitations.

Tous les pompiers le savent : ce qui tue le plus dans un incendie, ce sont les fumées !

Et là croyez-moi, la quantité de fumée qui s’échappait du commerce obscurcissait déjà tout le quartier. Nous ne distinguions plus la façade de l’immeuble, ni même une quelconque lueur des lampadaires de rue.

Nous savions que si des personnes se retrouvaient envahies par les fumées, elles n’auraient aucune chance d’être évacuées par les fenêtres en façade... si tant est seulement qu’elles eurent le temps de s’en apercevoir, plongées dans leur sommeil.

Alors sans attendre l’arrivée des secours, nous décidions de pénétrer dans l’immeuble pour en évacuer les occupants.

Les fumées n’avaient pas encore envahies les circulations horizontales et verticales communes de l’immeuble (comprenez couloirs et escalier).

Alors, dans un tumulte assourdissant, nous commençâmes à tambouriner lourdement aux portes des appartements pour en réveiller les occupants.

De temps à autres, des explosions des baies vitrées qui volaient en éclats sous l’effet de la chaleur résonnaient dans l'immeuble.

Nous invitions les locataires à évacuer urgemment, en emportant quelques vêtements chauds pour supporter la froidure hivernale qu’un vent âpre venait exacerber.

Nous prenions soin de bien faire refermer les portes, les unes après les autres, pour protéger les habitations du feu, mais aussi pour éviter les courants d’air susceptibles d’accélérer la propagation des flammes qui menaçaient de gagner les étages.

Des policiers arrivés en renfort nous rejoignirent pour aider à l’évacuation en attendant l’arrivée des sapeurs-pompiers, tandis que d’autres dirigeaient les rescapés vers un point suffisamment éloigné du bâtiment pour être à l’abri des fumées et ne pas gêner l’activité des services de lutte contre l’incendie qui n'allaient pas tarder à envahir l’espace par une quinzaine de véhicules et une multitudes de tuyaux de tous calibres.

Nous avions rejoint les premiers arrivés pour aider à « bilanter » (examiner) les riverains évacués dont certains avaient été légèrement incommodés par les fumées.

Puis, sur demande du SAMU, les vingt-sept personnes évacuées furent regroupées dans un local communal, le temps d’examiner chacune d’elles avec attention, notamment les plus vulnérables qui pouvaient avoir été fragilisés et choqués par ce réveil mouvementé et bruyant auquel nous les avions contraints.

Mais deux locataires manquaient à l’appel : un couple de personnes âgées domiciliées au dernier étage de l’immeuble.

N’avaient-ils pas entendus tambouriner ? Ont-ils eu peur d’une agression en entendant tout ce vacarme ? Ont-ils été asphyxiés par des fumées ? Les questions fusaient dans ma tête et l’angoisse commençait à m’envahir.

Je décidais donc d’y retourner mais je fus sèchement stoppé dans mon élan par le commandant des opérations de secours.

Quatre sapeurs-pompiers, équipés des ARI de circonstances (appareils respiratoires isolants) furent envoyés à l’étage, à la recherche des locataires manquants, les obligeant à fracturer les portes que nous avions soigneusement refermées…

Il faut dire que dans notre précipitation à agir pour faire sortir tout ce petit monde, nous avions juste omis d’indiquer, par un moyen ou par un autre, les appartements que nous avions évacués de ceux dont les portes étaient restées closes (oups, la boulette !).

L’une d'elle était celle d’un appartement inoccupé, l’autre celle de notre couple d’anciens, dont on apprendra avec bonheur qu’ils étaient partis passer quelques jours en famille pour échapper aux évènements violents qui émaillaient la ville depuis quelques jours.


Épilogue

 

Après plusieurs heures à lutter contre les flammes, les sapeurs-pompiers sont parvenus à préserver les habitations du dessus.

Les locataires ont été relogés provisoirement, le temps d’étayer et de s’assurer de la stabilité de la structure, mais aucune victime corporelle grave ne fut à déplorer.

Les auteurs de cet incendie volontaire (trois cocktails Molotov avaient été jetés dans le magasin) furent rattrapés par la justice après de longs mois d’enquête.

Quant à nous, nous étions heureux d’avoir peut-être épargné ce soir-là quelques vies innocentes.

Un témoignage de satisfaction viendra s’ajouter à notre dossier administratif.

Mais pour nous, nous n’avions fait qu’accomplir notre devoir.

 

 


#RICHARDLEFORMATEUR

www.le-secourisme-en-video.org

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