2. UN ALLER SIMPLE POUR SIOUVILLE

 Cette histoire remonte à quelques dizaines d’années...une sorte de PERLE À REBOURS en somme !

J’étais ambulancier à cette époque, et m’étais porté volontaire pour transporter un jeune polytraumatisé d’un hôpital parisien, où il venait déjà de séjourner près de huit mois à la suite d’un terrible accident de moto, vers un centre de rééducation fonctionnelle près de Cherbourg qui lui servirait encore de « résidence » pour les 12 ou 18 prochains mois de sa jeune existence.

J’ai très vite sympathisé avec ce gamin (qui n’avait à l’époque que quelques années de moins que moi).

Il me racontait le calvaire de ces interminables semaines d’hospitalisation, ses multiples opérations pour tenter de sauver tout ce qui pouvait l’être, pour reconstruire tout ce qui pouvait être réparé, pour recouvrer un semblant de normalité... ces semaines de douleurs après chaque opération, les séances de kinésithérapie... et surtout sa terrible angoisse d’avoir à subir probablement plus d’une année de rééducation enfermé dans un centre qu’il imaginait perdu au milieu de nulle part !

Les médecins lui avaient bien précisé que ça ne serait pas une partie de plaisir.

Je pense qu’ils devaient parler des nombreuses étapes qu’il lui faudrait encore franchir pour recouvrer ses capacités fonctionnelles, mais lui déprimait à l’idée de ce nouvel enfermement quasi carcéral qui l’attendait.

Alors, en accord avec mon coéquipier, j’ai profité de ce long trajet vers « l’enfer » pour sélectionner un petit restaurant dont la patronne, une femme admirable, acceptait de nous ouvrir l’arrière salle pour accueillir et servir comme un prince notre jeune patient brancardé !

Il n’en revenait pas (et nous non plus), mais cette femme généreuse nous avait ouvert les portes de secours à l’arrière de la salle pour nous permettre d’entrer avec tout l’attirail du parfait petit polytraumatisé, les tables étaient poussées soigneusement sur le côté pour nous réserver un espace adapté et confortable !

La jovialité de cette femme exquise et les petits plats dignes des meilleures auberges avaient soudainement redonné le sourire au gamin... un sourire qu’il n’avait probablement plus affiché depuis ce terrible accident qui fit basculer sa vie, il y a huit mois de cela.

Nous sommes restés près de deux heures. Je sentais bien que notre jeune amis aurait aimé prolonger ce moment de grâce qui lui changeait sans doute considérablement des plateaux-repas de l’hôpital, mais nous étions contraints de quitter avec regret cette brave dame pour reprendre la route.

La métamorphose de notre patient, repu et joyeux n’allait durer qu’un temps, et très vite les idées noires de « l’univers carcéral de la rééducation » lui revinrent en tête. Ses yeux s’humidifiaient au fur et à mesure des kilomètres qui nous rapprochaient de sa prochaine demeure...

Alors, arrivés presque à destination du Centre, que nous ne connaissions ni les uns ni les autres, nous avons fait une halte près du bord de mer, et manœuvré en marche arrière pour ouvrir grand les portes de l’ambulance sur une vue imprenable et merveilleuse que nous voulions lui offrir avant de le remettre entre les mains de ses nouveaux soignants.

On aurait dit qu’il voyait la mer pour la première fois. Ses yeux étaient immenses et coulaient cette fois abondamment, mais de bonheur je crois... pour l’encourager je lui expliquais que, contrairement à d’autres, il pourrait profiter un jour pleinement de ce paysage, et qu’il lui suffirait de repenser à ce tableau merveilleux pour surmonter les obstacles dans les moments difficiles.

Nous sommes restés une bonne vingtaine de minutes à contempler la mer, nous enivrer de ses embruns, du ressac contre les rochers tout proches, du cri des mouettes...

Et tout ça sans imaginer un instant que ce paysage idyllique allait être en fait celui de ces 12 ou 18 prochains mois, car à notre grande surprise, le Centre de rééducation fonctionnelle où nous déposions notre jeune motard était précisément situé sur ce rivage, ses piscines et salles de musculation flanquées de larges baies vitrées donnant directement sur la mer !

Notre « gamin » venait de retrouver le sourire et c’est nous maintenant qui avions les yeux humides, heureux de le savoir ici, bien que conscients des efforts qui lui resteraient encore à accomplir pour un jour, marcher sur cette plage en contrebas.

Épilogue :

Cette bien belle journée emplie d’émotion, nous décidions de revenir sur Paris par un autre itinéraire, pour le plaisir de découvrir d’autres belles routes provinciales et prolonger quelque peu ce moment de bonheur, nonobstant la pluie qui, naturellement sur Cherbourg venait de faire son apparition.

Mal nous en a pris ! Nous n’avions pas fait 300 mètres en quittant le Centre qu’un automobiliste alcoolisé perdait le contrôle de son véhicule et venait s’encastrer dans le nôtre, malgré une tentative désespérée pour l’éviter.

Moteur et direction explosés... ambulance HS.

Mon collègue s’étant prit la tronche dans le pare-soleil saignait copieusement du nez. L’autre n’avait rien mais sa bagnole était aussi cuite que lui !

Au téléphone on se fît pourrir par le patron qui ne s’inquiétait que pour l’état de son ambulance, se fichant des circonstances de l’accident et nous laissant comprendre en des termes fleuris que nous n’étions que des bons à rien et que nous n’avions qu’à nous débrouiller par nos propres moyens pour rentrer sur Paris...

Bref, nous voilà comme deux couillons en blouse blanches maculées du sang du collègue qui avait joyeusement coulé de son nez. On ressemblait davantage à deux bouchers qu’à des ambulanciers !

« Et pis c’taxi »* qui n’arrivait pas !

Je crois que cette nuit là nous avons ressenti un profond sentiment d’injustice après avoir essayé de donner le meilleur de nous-mêmes tout au long de cette journée.

Peut-être que notre jeune blessé me lira, ici ou là, et qu’il se reconnaîtra 30 ans plus tard ?

J’espère seulement qu’il s’est pleinement remis de son effroyable aventure.



 (*) Epistaxis : saignement de nez.

#RICHARDLEFORMATEUR

www.le-secourisme-en-video.org

 

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